La politique au Sénégal à l’épreuve des convictions religieuses(Par Ismaila Ndiaye)

Ousmane Sonko es-tu ibadourahmane? voici la question posée par le journaliste  M. Cheikh Yérim Seck au candidat déclaré à la présidentielle de 2019

Pour  certains, la question est saugrenue, maladroite et inopportune ,mais  pour moi elle cache véritablement un mépris , une stigmatisation, un refus à l’exercice du droit civique pour un certain nombre de citoyens sénégalais.

Au delà des contingences politiques, du débat sur la pertinence des programmes et bilan des uns et des autres, de l’appartenance d’un candidat à  présidentielle à une obédience ou à une autre, la question du journaliste nous donne l’occasion de formuler une réflexion sur le propos à partir de deux questions.

1. l’appartenance idéologique ou religieuse des candidat(e)s au suffrage universel  dans un Etat Laïc qui de fait, ne donne pas une grande considération au fait religieux, doit- elle faire débat?

2. Comment assurer l’égalité des citoyens dans l’accès aux fonctions publiques et d’Etat, et lutter contre toute discrimination comme garanti par la constitution de notre pays?

Le premier questionnement  révèle l’incohérence de notre régime  d’État basé sur une laïcité exclusive qui cherche à influencer et contrôler le fait religieux tout en  niant sa légitimité. Mais en même temps l’influence sournoise des convictions idéologiques et religieuses dans l’administration de nos Etats. Depuis les indépendances, les théoriciens du néocolonialisme affirment sans ambages « l’existence de courants idéologiques et d’obédiences ésotériques destinés au contrôle des anciennes colonies, et des quelles courants et obédiences doivent  émaner toutes personnes devant prétendre à la direction des territoires décolonisés; « .

Vrai ou pas, un constat est là , éloquent. Depuis plus de 50 ans que l’Afrique est indépendante, elle a du mal à offrir à ses fils l’espoir d’un avenir radieux, les laissant  se précipiter dans les affres de la morts en empruntant le chemin dangereux de l’émigration clandestine par les mers et déserts. N’est-il- pas temps donc que les pays africains qui aspirent aux développement s’intéressent aux convictions religieuses et idéologiques de leur dirigeants  pour une meilleure lecture des programmes qu’ils proposent et une maîtrise parfaite des facteurs d’influence dans la mise en œuvre de ces programmes. D’où l’intérêt à mon sens d’une telle question.

Ainsi posée, la réponse à la question peut contribuer à éclaircir  les populations sur la personnalité des candidats en quête du pouvoir exécutif et de vérifier à l’aune de leurs convictions, leur disposition à faire avancer durablement nos pays,  à promouvoir la paix sociale et la cohésion nationale .

De ce point de vue, Il serait aussi intéressant au delà des convictions généralistes de musulman ou catholique dans un pays à majorité croyante de poser les vraies questions d’enjeu idéologique dont l’impact sur le mode de gouvernance et la liberté d’entreprendre et de réformer est réelle. Est ce qu’être « Ibadou rahmane » ou pas en fait partie, je ne saurai le dire, car ne connaissant aucune définition officielle et objective de cette appellation, ni de ramification internationale du concept, et non plus de son impact sur le mode de gouvernance dans un pays laïc. Par contre, tout extrémisme dans une conception idéologique fusse t-il confucianiste, risque de poser un grand problème de cohésion à ce pays, jadis nous avons frôler l’implosion sociale entre 2010 et 2012, à cause de revendications confrériques et religieuses d’une certaine classe politique, allant même jusqu’à attaquer les symboles d’une minorité religieuse dans notre pays. Ce qui n’a rien à voir avec la gestion républicaine d’un Etat.

Par ailleurs, il serait intéressant pour les candidats à la présidentielle dans nos pays de nous édifier sur leur relations avec les loges maçonniques ou les lobbies LGBT homosexuels, vue les modèles de société dont ces obédiences et lobbies font la promotion, qui sont aux antipodes de nos valeurs, et dont l’impact sur le mode de gouvernance, sur les programmes et orientations des candidats est réel. cela ne remet pas en cause le principe de liberté individuelle dont jouit chacun, mais de là à vouloir imposer un modèle social aux populations, aux antipodes de leurs valeurs culturelles et religieuses, voilà un grand problème. Ce n’est pas pour rien que le «code éthique» de la coalition gouvernementale dirigeante en Italie a interdit d’accès au gouvernement les membres de la franc-maçonnerie italienne. Il s’agit d’une décision réfléchie, vu les impacts probablement  négatifs de ses obédiences, et les pressions éventuelles dont elles peuvent être la source sur les orientations du gouvernement.

l’autre problématique posée par cette interpellation est  l’égalité des citoyens sénégalais dans l’exercice des fonctions publiques et d’Etat, sans aucune discrimination comme garantie par la constitution de notre pays.

Au delà de l’intérêt que représente l’appartenance idéologique des aspirants au fauteuil présidentiel du Sénégal, poser la question sous le sobriquet  d' »ibadou rahmane », une appellation surchargée de fausses informations et d’accusations fallacieuses et gratuites, corrobore un mépris de la part du journaliste inquisiteur, qui insinue dans son intonation que le fait d’être « ibabou rahmane » est un mal en soi qui empêcherait à un prétendant de briguer le suffrage universel des Sénégalais. cette question ainsi posée et dans une intonation pareille, montre que derrière il y a une à discréditer un candidat parce qu’il appartiendrait à une congrégation représentative au Sénégal, laquelle congrégation devrait être interdite d’accès à toute fonction publique et d’Etat. ce qui est absolument faux et la réalité de notre administration composite et hétéroclite le dément.

Ce n’est pas la première fois qu’une telle insinuation est faite, lors d’une émission  à laquelle j’ai participé sur RFI, une des invités a évoqué en bonne ex-marxiste ce qu’elle a appelé une infiltration des lignes de masse pour se désoler de l’acceptation et de la reconnaissance parfaite dont jouit la communauté dite  » Ibadou rahmane » chez les populations et les chefs religieux. Et qu’elle souhaitait au lendemain de la destruction de mausolées à Tombouctou que ce regards change, vue que sont les mêmes communautés qui agissent de la même sorte. Une approche subjective qui n’a rien de scientifique.

Pour l’histoire, le Sénégal est un pays particulier, composé de 97% de musulmans toutes obédiences confondues. L’islam y a étendu ses tentacules depuis plus de 1000 ans et les confréries les plus représentatives, depuis 300 ans.

Les sénégalais de par leur nature résiliente et leur forte aspiration à la paix et à la quiétude ont pu maintenir ce pays en îlot de stabilité dans un environnement instable, en dépit des guerres de  positionnement idéologique qu’a connu le Sénégal au début du 18ième siècle.

Aussi bien pour les héritiers de l’islam d’avant les confréries, que pour ceux des confréries, le fil du dialogue et de la cohésion n’a pas été rompu, des divergences ont existé, mais n’ont été que rhétoriques. les seuls débordement qu’il y a eu dans l’histoire récente du pays, c’est lorsque des politiques avides de pouvoir ont exploités leur proximité avec telle ou telle obédience confrérique ou partie de confrérie pour gagner des élections. Les périodes pré et post indépendance regorgent d’exemples.

Dans notre Sénégal d’aujourd’hui, avec l’évolution plus que positive des mentalités, penser qu’ être « Ibadou rahmane » peut empêcher à un sénégalais compétent, intègre et conscient de prétendre à briguer le suffrage universel des sénégalais, n’est que fourberie.

Etre « Ibadou rahmane » à mon sens renvoie à ce musulman conscient de la primauté du Prophète de l’Islam, Mouhammad SAW sur toute l’humanité des saints et en fait sa référence spirituelle unique sans aucun intermédiaire. Ainsi défini, nos guides religieux au Sénégal sont les premiers « Ibadou rahmane » car ayant mentionné ce principe nettement et clairement dans leurs écrits.

Quant au fait de vouloir rattacher cette aspiration à l’extrémisme violent qui sévit dans le monde au nom de l’islâm c’est cherché des raccourcis facile et abuser de l’histoire.

Toutes les idéologies au monde, même les plus pacifistes à l’exemple de l’idéologie bouddhiste, ont produit des extrémiste, les confréries les plus douces ont donné naissance à des gens violents. Nos lieux de détention sont là pour en témoigner.

il faut arrêter ce débat qui n’a aucun sens.

Reprocher aux « Ibadou rahmane »  un manque de respect à nos chefs religieux, qui du reste sont un patrimoine commun et national, est de la pure fumisterie. La vérité de leur conception , il faut le reconnaître, et oser le dire , c’est que le fils d’un saint n’est pas forcément un saint, et que fonder le respect religieux d’une personne sur sa seule ascendance n’a pas un grand sens. par conséquent, aimer nos guides religieux, leur vouer un respect, ne devrait pas être synonyme d’asservissement à leur descendance. Si par contre, cette descendance cherche à marquer les esprits et traitent ses propres pourfendeurs d’ennemis de ses aïeuls, cela est un autre débat. Je puisse en témoigner pour le dire, les « Ibadou rahmane » que je connais, sont respectueux de l’ordre social établi. Ils  considèrent avec amour et déférence l’ensemble de nos chefs religieux aussi bien pour ce qu’ils ont représenté dans la défense et l’expansion de l’islam au Sénégal , mais aussi pour leur vaillant rôle dans la résistance face au colonisateur. Mais cela encore une fois, n’implique pas en eux aucune forme d’asservissement ou de déférence illégitime à l’endroit de qui que ce soit, ni de l’intérieur, ni de l’extérieur.

Cependant, dans un pays  où les gens ont fait l’option d’allier dans un syncrétisme total, religion et profane, culte et mondanité, événements religieux et festivals musicaux, il est normal qu’une certaine pratique à l’apparence stricte de la religion puisse déranger et même faire peur.

Nous demandons solennellement aux hommes politiques et de médias, dans la situation actuelle dans laquelle se trouve notre pays, d’agir en toute responsabilité dans ce qui renforce la cohésion sociale, et de refuser toute calomnie perfide allant dans le sens de stigmatiser une partie, non moins importante des populations sénégalaises.

A l’Etat de siffler la fin de la récréation.

Tout sénégalais, de manière digne et souveraine peut faire appel à la confiance de ses concitoyens, libre à eux de lui faire confiance ou de ne pas lui faire confiance.

Nous disons Non à la manipulation ethnique et régionaliste!

Non à la manipulation confrérique et religieuse!,

Travaillons pour un Sénégal de paix et d’harmonie. Que les régimes se succèdent, que les personnes passent, mais  laissent derrière elles des institutions fortes et crédibles dans un havre de paix à jamais.

Ismaila NDIAYE

Imam, Analyste et Auteur

ismandiaye777@yahoo.fr

1-l’appellation « Ibadou rahmane » est donnée au membre de la Jama’atou Ibadou Rahmane, une organisation islamique du Sénégal officiellement créée en janvier 1979. Elle s’est par la suite  généralisée à tous les musulmans sénégalais ne se revendiquant pas des confréries soufis du Sénégal. leur rapport avec ces derniers ont connu des moments plus ou moins difficiles, dus à des différences d’approche sur des questions religieuses. Cependant,  la relation devient de plus en

plus cordiale et stable. 

2-Kwame Nkrumah, Le néo-colonialisme – Dernier stade de l’impérialisme – 1965,  François-Xavier Verschave, De la Françafrique à la Mafiafrique, Tribord (2004), p. 9, Hubert Marlin Elingui Jr, Entre Sectes et gouvernants africains qui détient le pouvoir véritable ?.

3-le confucianisme est un courant de pensée philosophique originaire de Chinefondé sur des principes de bonne conduite, de sagesse et de relations sociales saines



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