Moussa Diaw(Mouvement SPN): « Macky Ne voudra pas faire moins que ses prédécesseurs. »

Entretien à bâtons rompus avec Moussa DIAW, l’ancien Coordonnateur du Mouvement Yémalé, aujourd’hui Président du Mouvement Sénégal Préférence Nationale. Politiquement très actif entre 2010 et 2014, ancien membre du M23 et du Groupe de Travail et de Suivi des Assises Nationales, notre invité, avec recul et froideur, analyse pour Dakar7 la situation politique et économique nationale et donne les pistes vers la Souveraineté économique si chère à son Mouvement.

Vous avez publié une Tribune dans la Presse et sur les Réseaux sociaux intitulée ‘’j’ai lu Mbougar’’, qu’est ce qui a motivé votre sortie ?

J’ai signé cette tribune après avoir constaté que l’on essayait de descendre un jeune écrivain qui vient de remporter le Graal de la Littérature d’expression française sans lire l’œuvre primée. Certains sur des plateaux de télévision ont orchestré des amalgames et distillé d’énormes faussetés sur l’œuvre de Mbougar ‘’ la plus secrète mémoire des Hommes’’. Ils ont meme induit en erreur des gens de bonne foi. Je voulais livrer ma part de vérité. Vous savez que sur les RS, il y a un certain suivisme et une doxa sur la façon de penser. Je ne suis pas de ce moule. J’ai jugé nécessaire, comme je le fais toujours, de fonder ma propre opinion avant d’émettre une quelconque critique ou approbation. De nos jours, il y a beaucoup de manipulations dans l’espace public. Je n’ai pas regretté ma démarche. Mbougar est un grand Ecrivain, un génie comme on en veut encore au Sénégal. Ce jeune est à célébrer et à montrer en exemple. Si nous avions encore plus de Mbougar en Sciences, en Technologies et Littérature, le pays s’en porterait beaucoup mieux.-

Après le « mouvement Yemalé » dirigé par Bara Tall, vous avez créé aujourd’hui le « Mouvement pour la préférence nationale ». Quelle est la différence ?

Yémalé était un mouvement citoyen à équidistance des chapelles politiques. Son crédo demeure ‘’ Le Mérite et l’égalité des chances’’, en somme l’équité. C’est un état d’esprit qui traverse le temps. Le mouvement Sénégal Préférence Nationale est un mouvement d’action politique qui vise la souveraineté économique du Sénégal et des Sénégalais avant tout. Notre vision est de ramener le Sénégalais en priorité dans la construction d’une économie nationale forte aux mains des Sénégalais et ce de façon stratégique et intelligente.

-Pensez-vous que la préférence nationale n’est pas effective au Sénégal ?

Non, si elle existe, elle est encore très embryonnaire dans la sphère économique publique. Elle n’est pas, entendons-nous bien, une rupture brusque et brutale avec les partenaires et entreprises étrangers qui investissent dans le pays mais plutôt une synergie entre ces derniers et les entreprises sénégalaises. Il faut renforcer le privé national à aller en priorité vers la commande publique et au besoin qu’il s’attire des partenaires techniques étrangers sans se muer en courtiers pour multinationales. C’est ce dosage stratégique réussi dans plusieurs pays que nous tardons à développer et à codifier en tenant compte de notre environnement communautaire dans l’UEMOA. Il ya des pas dans ce sens mais nous sommes encore loin de ce que ca devrait être. Et pourtant la pandémie COVID-19 a bien montré au Monde la primauté que les Etats ont pour leurs nationaux. Nous devrions beaucoup en apprendre pour l’avenir. –

La préférence nationale n’exige-t-elle pas aussi de la part de nos entreprises une compétitivité (qualifié, respect des délais…)?

Absolument ! Dans un environnement concurrentiel ouvert comme l’économie de marché, il faut que les entreprises soient en permanence en quête de performance et de compétitivité. Cela est le moteur même de l’existence de l’entreprise. C’est vrai qu’il y a ça et là des manquements de certaines compagnies mais il y a aussi des champions nationaux qu’on doit renforcer et même protéger. Lorsque, dans une filière donnée, un secteur d’activités, une entreprise sénégalaise se distingue, il faut la renforcer en appuyant le développement de ses compétences, l’acquisition de technologies et d’équipements quitte même à la présenter et l’introduire auprès de partenaires qui en renforceraient les capacités techniques. Et c’est sûr que nous ne manquons pas d’entreprises dont les Dirigeants ne demandent que cet appui étatique. Ca se fait ailleurs. Toutes les multinationales se sont d’abord faites dans leur pays avec le soutien de leurs Etats respectifs avant de conquérir le Monde. Voyez les entreprises marocaines par exemple, elles conquièrent l’Afrique subsaharienne avec l’appui de leur Etat.Il est très facile de pointer du doigt notre privé national mais a-t-il tout le soutien qu’un Etat doit apporter à ses entreprises en les priorisant ?

-La forte présence des Turques et des Chinois au Sénégal  vous inquiète-t-elle?

 Non pas du tout. Notre crédo, nous, n’est pas de pointer du doigt et de ‘’dégager’’. Je pense que c’est une approche puérile et activiste des relations politiques et économiques. Quand on construit un Etat, on s’enrichit d’apports extérieurs et d’investissements directs étrangers. Et être un bon leader, c’est aussi de savoir capter ces IDE, c’est aussi développer l’attractivité de son pays. Que Chinois, Turcs, Indiens, Iraniens, Malaisiens, Français, Américains etc investissent au Sénégal, c’est en soi une très bonne chose. Notre devoir à nous, est d’exiger un transfert de technologies et un développement de nos capacités techniques par l’établissement de partenariats avec des entreprises sénégalaises. C’est cela la stratégie pour que ces IDE aient une forte valeur ajoutée et des impacts mesurables pour l’érection d’une économie souveraine.Le Sénégal est en construction avec 61 ans de souveraineté internationale. Il faut maintenant travailler à atteindre la souveraineté économique en bâtissant une économie résiliente endogène qui assure l’essentiel vital sur le territoire national.

-Avez- vous des ambitions politiques pour votre pays ?

Bien évidemment Oui. J’ai des ambitions pour mon pays, des ambitions de grandeur pour le Sénégal et les Sénégalais.Je nourris l’ambition de voir un Sénégal apaisé, qui offre le savoir et l’avoir à ses enfants, un Sénégal qui offre des opportunités économiques à tous ses entrepreneurs, un Sénégal qui offre de belles perspectives d’avenir à toute sa jeunesse, un Sénégal qui offre le plein emploi à sa population. Le Sénégal que je veux est un Sénégal de justice ouvert sur le Monde et accueillant, un Sénégal à la pointe dans la lutte pour une Afrique prospère.Si c’est cela avoir des ambitions politiques, oui je les ai. Je veux un Sénégal industrialisé, un Sénégal dont l’Agriculture entièrement mécanisée pourvoit aux besoins des populations, un Sénégal producteur. Il faut qu’avec 4 fleuves et 2 bras de mer qui nous arrosent et 3.8 Millions d’hectares de terres cultivables, notre Sénégal n’attende plus de l’extérieur pour se nourrir. C’est cette hérésie dont nous ne voulons plus. Notre ambition est un Sénégal dont les enfants bénéficient tous de l’Éducation et de la Santé et ou la Sécurité est garantie à tous. Ce Sénégal là est le Sénégal de nos ambitions

.-Le fait que vous soyez établi à l’étranger ne constitue pas un handicap pour votre mouvement ?

Non, je ne le pense pas car c’est un vieux débat mais il a été tranché depuis longtemps si vous observez la géopolitique mondiale depuis les années 70. Il n’y a plus vraiment de différence à être à un endroit ou un autre pour être utile à son pays. Le plus important est d’avoir une vision constructive et que cette vision soit partagée. 85 % des membres de notre Mouvement sont au Sénégal, c’est des Hommes et femmes de valeurs qui chaque jour apportent un plus dans le pays. Ils et elles mènent un travail extraordinaire auprès du Peuple. Non, il n y a aucune distance qui soit un handicap de nos jours quand on sait s’organiser. Le Mouvement tisse sa toile sans tambours ni trompettes dans tous les segments de la Société et quand viendra le temps opportun, nous présenterons aux Sénégalais notre vision pour une économie souveraine.

-La Covid 19 a durement touché le monde, notamment les Sénégalais de la diaspora. En Amérique du Nord, quel est l’impact de cette pandémie sur le transfert de fonds vers le Sénégal

Je n’ai pas agrégé des chiffres pour le Canada ou les Etats Unis, mais il faut juste signaler que les transferts de fonds en direction de l’Afrique entière n’ont faibli que 1.6% entre 2019 et 2020, passant de 548 Milliards de dollars à 540 Milliards dollars. Et qu’en 2021, pour le Sénégal, ces envois ont connu une hausse et tournent autour de 1500 Milliards de CFA. De manière générale, même si la diaspora sénégalaise a été lourdement frappée surtout dans les pays d’Europe du Sud, elle a fait preuve d’une très grande résilience en actionnant des leviers de solidarité au niveau de ses différentes associations et communautés. Pour l’aide apportée par l’Etat, je n’ai pas vraiment suivi sa distribution dans la diaspora, je la trouvais peu pertinente eu égard aux défis auxquels ses destinataires étaient confrontés et l’Etat sénégalais lui-même. Je disais sur une TV de la place qu’il nous fallait beaucoup apprendre de la COVID-19 pour esquisser une relance économique autour de secteurs clés que sont l’Aliment, le Médicament et le Vêtement. L’Aliment, c’est une Agriculture forte productrice capable de pourvoir aux besoins nationaux. Le Médicament, c’est une Industrie pharmaceutique à relancer et des hôpitaux à construire et des infrastructures de santé pour mailler le territoire national. Enfin, le Vetement c’est redynamiser notre industrie textile et tous les accessoires essentiels dans lesquels nous dépensons des centaines de milliards en importations. C’est aussi notre Artisanat qui a besoin d’un souffle nouveau pour structurer l’activité et formaliser les milliers d’emplois qu’il peut générer.- Quel regard portez-vous sur la gestion du pays ?Vaste question qui à elle seule suffit pour une entrevue. Je vais essayer d’être succinct. Je l’ai dit tantôt, le Sénégal est en construction. L’État est jeune. Il faut dire que depuis 2000, le spectre de développement économique s’élargit. Nous sommes sortis des griffes de Bretton Woods pour embrasser d’autres formes de coopération et de partenariats avec d’autres pays, surtout ceux du Sud. Apres le Président Wade qui avait quand même un bon bilan économique, malgré les crises de sa fin de régime, le Pdt Macky Sall est dans le sillage pour suivre le tracé. Il y a eu quelques ratés certes au début de sa focntion mais globalement il est dans la bonne dynamique. Des infrastructures sont construites, la solidarité nationale est agissante à l’endroit des plus démunis de la Société mais il reste encore beaucoup à faire dans la résorption du sous-emploi. L’État peut encore créer des milliers d’emplois pérennes dans plusieurs domaines comme l’Assainissement, les Travaux publics, la Santé, l’Éducation, les Ressources Naturelles etc. Les possibilités sont là et le potentiel existe. Et justement, c’est avec un secteur privé national bien accompagné qu’on lutte contre le sous-emploi. Si le Sénégal parvient à explorer toutes les opportunités et les ressources lui permettant d’offrir de l’emploi à sa jeunesse, le pays connaitra de bienheureuses mutations. Il nous faut commencer par réaliser l’équité territoriale pour que chaque sénégalais sur chaque bout de territoire ne soit pas discriminé du fait de la distance qui le sépare de Dakar. Si le Sénégal déconcentre son économie et ses infrastructures pour effacer les disparités territoriales, c’est des opportunités extraordinaires de croissance qui seront générées. Il nous appartient de casser les paradigmes de l’économie coloniale qui suivaient une logique distributive de collecte de l’hinterland vers la capitale et ensuite vers la métropole. Je ne doute pas que les choses changeront. Il faut juste que soit consolidé l’Etat de droit, en gommer les imperfections et le maintenir toujours adossé à des Institutions fortes. Et là, c’est l’occasion pour moi d’appeler à ce que nous réfléchissions à nous doter d’institutions plus inclusives. Nous avons hérité d’une forme de République qui n’émane pas de nos socles sociaux traditionnels. Il faut pousser la réflexion pour faire place à toutes les composantes de la Nation au sein des Institutions qui représentent le Peuple et qui décident en son nom. Nos ressorts sociaux collectifs ne sont pas représentés dans notre architecture institutionnelle. C’est une tare de naissance de l’Etat hérité de la colonisation qu’il faut corriger.

-Macky Sall a-t-il une vision claire pour conduire le Sénégal vers l’émergence?

Le Président Macky Sall a mis en place le PSE pour une exécution allant jusqu’à 2035. Le Plan est en déroulement actuellement. Comme toute œuvre humaine, ce plan est perfectible mais il demeure un bon référentiel vers l’Émergence. Il faut déjà saluer l’effort de planification stratégique qui a été fait. Le Pdt Macky Sall en fait sa part et après lui, un autre Sénégalais en fera une autre part ainsi de suite. La vision est claire à mon avis. Il ne faut juste pas dévoyer les objectifs par des calculs politiciens. Vous savez, ce qui peut plomber l’élan d’un pays c’est le nihilisme qui peut habiter certains acteurs et leaders d’opinion dont ils usent et abusent auprès des masses et des forces vives. Il ne faut pas juste voir à travers le PSE la personne du Président mais plutôt ce que le Plan apporte aux Sénégalais et au Sénégal. Le NEPAD survit bien à ces principaux concepteurs qui ne sont même plus au pouvoir. Nous avons dans la gestion d’un Etat toujours besoin de donner du temps au à la maturation des grandes planifications économiques.

-Que pensez- vous du débat sur le 3e mandat de Macky Sall ?

Pour moi, il n y a pas débat. Moralement et politiquement, je ne crois pas que le Président Macky Sall veuille sortir par les petites fenêtres de l’Histoire après être entré par la grande porte. Il ne faut pas que la vie de la Nation tourne autour de cette question. Et il ne faut pas non plus en arriver à la situation de 2011. Le Pdt Macky Sall est surement bien conscient de ce que sortir par la Grande porte peut lui apporter en termes d’aura nationale et internationale. Il ne voudra pas faire moins que ses prédécesseurs.

– Comment appréhendez-vous les élections locales prévues en janvier 2022?

Les élections locales vont se tenir normalement. Il y aura campagne, il y aura des vainqueurs et des vaincus, des contestations que les Tribunaux vont arbitrer et la vie continuera. Il ne faut pas que le pays soit paralysé par des questions électorales quand nous savons les énormes défis économiques auxquels nous devons faire face. C’est vrai que les Collectivités territoriales sont partie intégrante de la gouvernance publique mais il ne faut pas qu’être Maire soit une fin en soi pour un politique. La tension préélectorale est juste entretenue et ravivée par généralement des gens qui pensent que les Mairies sont des tremplins pour leur carrière politique mais non pour se mettre au service des populations. Il y a toutefois de belles candidatures qu’on aimerait voir gagner dans certaines localités parce que nous savons que c’est des gens qui ont préparé un programme de gouvernance locale, des gens qui ont de nobles et très bonnes ambitions pour leurs communes. Ils ne sont pas nombreux mais ils existent quand-même.-Pensez-vous  que ces résultats vont déterminer la présidentielle de 2024?Je ne le crois pas. Ces élections sont locales. C’est au niveau de chaque collectivité que les populations vont choisir leur maire. Apres cela, le temps en politique est très long. Etre Maire en 2022 ne veut pas forcément dire être présidentiable en 2024. C’est 2 choses complètement différentes. On peut avoir une légitimité politique avec une Mairie mais ce n’est pas le sésame pour la présidence de la République.

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