Situation des enfants dans la rue : Un casse-tête pour l’Etat

La situation des enfants dans la rue reste un problème majeur pour l’Etat Sénégalais. Malgré la ratification de la convention des droits de l’enfant signée en 1990, les enfants continuent à être exploités. En effet, selon le rapport 2016 sur le bien être de l’enfant Africain, 1200 enfants ont été retirés  des rues en six mois sur 30 000 enfants (en 2014). Un chiffre qui fait froid au dos et qui interpelle l’Etat du Sénégal. Dans ce dossier réalisé par Dakar7, nous nous sommes interrogés sur l’efficacité des moyens déployés par l’Etat pour faire respecter le droit à un toit, à une famille, pour ces enfants livrés à eux-mêmes. 

Pieds nus, tee shirt déchiré, caleçon troué, pot en plastique vide à la main gauche, quelques pièces de monnaies dans l’autre, le regard innocent, le jeune Abdou inspire de la pitié. Âgé à peine de 6 ans, le petit talibé connait déjà les difficultés de la vie. « Aidez-moi à acheter du pain», supplie-t-il, la main tendue. Son regard est tourné vers le reste du groupe qui traverse la rue de Golf Sud sans se soucier des voitures qui passent. Une image qui ne laisse pas indifférente Awa Mbaye, trouvée au garage « clando ». Cette dame de 40 ans, panier à la main, se dit très sensible sur a situation des enfants de la rue. « Je suis très peinée quand je vois ces petits bout de bois de Dieu errer, pieds nues, tremblotant », confie-t-elle, l’air désolé. Selon elle,  la faute incombe aux « parents irresponsables qui refusent de prendre leurs responsabilités ». Elle tire la sonnette d’alarme: »Il faut que ça cesse!».

Autre lieu, autre réalité. Nous sommes au Rond point Liberté 6. Ici, l’ambiance est à son paroxysme. Les « tassous» (chants improvisées) des vendeurs de friperies, les klaxons des bus Tata et taxis, se mêlent aux voix des apprentis de cars rapides. Habituellement envahi par des talibés, le rond point Liberté 6 s’est vidé de ses mômes en cet après-midi. Chose curieuse. Mais Mamadou Saliou Diallo, vendeur de café, renseigne:  «Peut être à cette heure, ils sont rentrés, mais ces talibés ne sont pas de cette zone».

« Il n’y a rien au village à cette saison, alors qu’ici on arrive à avoir quelque chose »

Cap sur sacré-coeur 3 Pyrotechnie. Contrairement au rond point 6, ici, le nombre d’enfants qui traînent dans les rues est impressionnant.  Des enfants dont la plupart sont des filles âgées de 2 à 12 ans, sont accompagnés de leurs mamans jouent juste en  face de la Grande mosquée Ibnou Abass. Cet endroit leur sert de gîte. Ils mangent, dorment et font leurs toilettes sur place. Khoury(nom d’emprunt), la trentaine, le regard hagard, sandales poussiéreuses, est assise sous l’ombre d’un arbre. Elle a, à ses cotés, un seau bleu rempli de riz, de morceaux de sucres, de bougies, et quelques pièces de monnaie jetées sur un morceau de tissu étalé sous ses genoux. Elle allaite son bébé de quelques mois. Interpellée sur le fait qu’elle expose ses enfants dans la rue, Khoury rétorque qu’elle n’a pas le choix. La mendicité est la seule solution, selon elle,  pour s’en sortir. « Vous voyez, j’ai 3 enfants que je dois nourrir, soigner. Où est ce que je vais prendre cet argent ? », se demande-t-elle. Avant d’enchaîner: « Il n’y a rien au village en cette période, alors qu’ici on arrive à avoir quelque chose ».

A quelques mètres de l’arrêt des bus DDD, un groupe de talibés se disputent pour une pièce de 200 fcfa. Le plus âgé du groupe sort un sachet rempli de pièces. Il leur fait la monnaie et fait le partage équitablement. D’un sourire triomphant, il déclare:« Maintenant que chacun à sa part, allons-y!». Ce jeune garçon plus au moins bien vêtu semble plus mature et responsable.  «Je viens de Vélingara, notre daara se trouve à Ouakam. J’y suis depuis 5 ans», confie t-il d’un ton convainquant. Avant de rappeler:« J’étais venu avec mon petit frère mais il a été récupéré par des personnes (agents de la direction de la protection de l’enfant) qui l’ont amené dans un centre avant de le retourner chez nous, car il ne voulait plus rester ».

« 1200 enfants retirés des rues en six mois »

Pour en savoir plus sur ces retraits des enfants de la rue, nous avons interrogé le chargé de l’organisation du retrait, Mohamed Touré agent de la Direction des Droits et de la Protection des enfants et des Groupes Vulnérables (DDPGV). Selon M. Touré, la direction, avec l’aide de la brigade des mineurs, a retiré 1200 enfants de la rue dont plus de 300 enfants d’autres nationalités en six mois. D’après toujours notre interlocuteur, environ 700 enfants ont été retournés chez leurs parents dans  différentes régions comme Kédougou, Kolda, Matam, Tambacounda … «Après avoir retourné les enfants, on subventionne ces familles pour qu’elles puissent bénéficier d’une activité lucrative afin de subvenir aux besoins des enfants et les garder dans les maisons » précise-t-il. Malheureusement ce n’est pas le cas de tous les enfants retirés des rues. Certains ne connaissent pas d’où ils viennent et cela ne facilite pas le travail des agents. Par conséquent, ces enfants restent dans les centres d’accueil comme « Guindi » et SOS village.

Interpellé sur le mode opératoire, M. Touré affirme qu’ils sortent 3 fois par semaine dans différents endroits. «On s’habille en civil, repère les enfants talibés, on essaye de les convaincre de nous suivre tout en les rassurant qu’ils seront bien traités logés, nourris, et vêtus. On les met dans un bus avant de les amener dans les centres d’accueil. Là-bas chaque enfant est interrogé, fiché; ce qui permettra de localiser son maître coranique, et ses parents. Toutefois, s’ils veulent rentrer, on les aidera à rejoindre leur famille. », explique-t-il.

« Un jour, quelqu’un m’a  abreuvé d’insultes »

Mais cette opération n’est pas sans difficultés. M. Touré note une certaine résistance chez les femmes mendiantes qui exposent leurs enfants dans la rue. Selon lui, c’est la police qui devrait faire pression sur ces femmes qui « utilisent leurs propres enfants pour s’enrichir en les emprisonnant au minimum 15 jours ». Au-delà des résistances, les agents font face à des menaces de quelques individus qui n’hésitent pas à les attaquer pour les interdire de prendre les enfants. «Un jour, quelqu’un m’a abreuvé d’insultes, mais les ASP qui étaient en civil, l’ont directement embarqué», raconte-t-il avec regret.Il poursuit: «Même s’ils récidivent (mendiants et talibés), les retraits continueront, donc les gens doivent nous laisser faire notre travail ».

Le processus de retrait consiste aussi à convaincre les maîtres coraniques et mendiantes à abandonner l’exploitation des enfants en les exposant dans les rues. En effet, des mesures d’accompagnement ont été mises en place, telles que distributions de denrée alimentaire (riz, savon, sucre, huile) plus un montant de 50.000 fcfa chaque mois pendant ses 6 derniers mois. En plus pour un appui durable, le Ministère de la femme, de la famille et de l’enfance a mis un budget de 8 000 000 fcfa à la disposition de 16 daaras pour financer leurs projets. Ainsi, pour une bonne gestion de ces projets, les bénéficiaires seront assistés et appuyés par des formateurs et conseillers.

Boudy Sall, ex-mendiante : »Avant je traînais partout, je n’avais pas d’endroit fixe »

Dakar7 a pu s’entretenir avec deux des bénéficiaires. Boudy Sall, en fait partie. Native de Horé Fondé dans le Fouta, elle est une mère de famille qui a été trouvée dans la rue avec ses enfants. «Je remercie ses gens qui m’ont aidé à sortir de la mendicité car depuis qu’ils m’ont financée, je m’en sors avec à mon petit commerce », déclare t-elle. Avant d’enchaîner:  » Avant je traînais partout, je n’avais pas d’endroit fixe, je quittais tôt le matin Keur Massar avec mes enfants, pour me rendre à Dakar. Je  mendiais toute la journée et rentrais le soir », confie Boudy Sall.

« Il est difficile de vivre à Dakar avec plusieurs talibés »

L’autre s’appelle Moustapha Diamanka. Ce maître coranique qui a quitté la Casamance il y’a 15 ans de cela pour s’installer à Dakar avec ses quelques talibés. Son rêve, c’est de rentrer et de faire de l’élevage. «Il est difficile de vivre à Dakar avec plusieurs talibés sans les moyens, c’est pourquoi je leur demande d’aller mendier, pour au moins se nourrir», affirme-t-il. «Si je rentre, je pourrai faire de l’élevage et les grands talibés pourront s’occuper de la vente », promet-il
Ramata Ba(stagiaire)

Dakar7.com

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