Trente ans de Nuits d’Afrique à Montréal

concert_du_dixie_band_au_balattou_en_1987_c_archives_nuits_dafrique_0Une sixième journée de concerts gratuits en extérieur, la création d’un nouveau prix pour la Fancophonie remis à Manu Dibango ainsi que la sortie d’une compilation rétrospective, Nuits d’Afrique a dignement fêté son trentième anniversaire. Retour sur l’histoire d’un festival pionnier qui a vu passer les plus grands noms des musiques africaines, latines et caribéennes.

« Tout le monde me connaît ici : les Antillais, les Haïtiens, les Latinos… tout le monde sait qui je suis ! » Au nombre de poignées de mains serrées et de sourires échangés, difficile de contredire Lamine Touré, le fondateur des Nuits d’Afrique en 1987. Cette première édition se déroule au Club Balattou, contraction de « Bal pour tous », lieu emblématique de la vie nocturne montréalaise situé au 4 372, boulevard Saint-Laurent dans le quartier animé du Plateau Mont-Royal.

Sur la vitrine du club tropical éclairée par des néons trônent les portraits de Papa Wemba, Youssou N’Dour ou encore Miriam Makeba, témoignages de la place unique qu’occupent les Nuits dans la reconnaissance de la « musique du monde » en Occident.

« Pour moi, la clé de la réussite c’est la patience. J’ai une vision. Je me lève avec, je me réveille avec et je pense que le résultat est là », s’enorgueillit Petit Touré, devenu chevalier de l’Ordre national du Québec. Arrivé au Canada dans les années 1970, le tailleur guinéen a réussi dans le textile avant d’investir massivement dans la culture. Aujourd’hui, il peut se targuer d’avoir créé l’un des temps forts de l’été à Montréal.

En 2015, le festival a même été reconnu comme l’un des dix événements majeurs de la ville. Cette année-là, il avait attiré environ 550 000 festivaliers sur 12 jours. Conscient de son potentiel de développement, le gouvernement du Québec a contribué à hauteur de 290 000 dollars canadiens à la 30e édition, soit 70 000 dollars de plus que l’édition précédente. « Cette reconnaissance me touche, mais j’attends maintenant que les gouvernements africains nous donnent la main. Tout le monde subventionne sa culture. Sauf l’Afrique », déplore-t-il.

Un « Village » africain au Canada

Un marché, un disquaire, des restaurants, un espace de projection à 360 degrés, une scène avec une capacité de 8 000 personnes, « le Village des Nuits d’Afrique » est un agréable carré de verdure en plein centre-ville où se déroule la partie gratuite et en extérieure du festival. Avant les concerts de l’après-midi, un public familial est invité à participer à des ateliers d’initiation aux danses et aux instruments africains. Ce jour-là, c’est Adama Daou qui fait découvrir aux Québécois les secrets du balafon pentatonique. « En France, en Belgique, en Espagne, on connaît bien le balafon, ce n’est pas le cas ici au Québec. Ce qui m’intéresse c’est la transmission. Il faut toujours préparer la relève, sinon l’instrument peut disparaître », insiste le percussionniste malien issu d’une famille de griots.

Autour du maître, une quinzaine d’élèves studieux tentent de suivre la cadence. Parmi eux, Rafiq, un étudiant de Montréal, peine encore avec sa paire de baguettes à percuter dans le bon tempo les lames de bois amplifiées par des calebasses. « J’avais déjà entendu ce son sur des disques, mais c’est la première fois que je joue du balafon. C’est vraiment quelque chose à expérimenter ! »

Maxine, 75 ans, retraitée dynamique et passionnée par les rythmes africains, s’en est beaucoup mieux sortie. « Je prends des cours de danse et mon mari apprend le djembé. Cela fait quatre ans d’affilée que l’on vient au festival pour découvrir la culture africaine et puis on aime fraterniser avec des gens de tous les pays. » 

Montréal, ville ouverte   

Rendez-vous incontournable de la diaspora, la force et l’originalité des Nuits d’Afrique est de mettre sur un pied d’égalité des grands noms (Rachid Taha, Inna Modja, Manu Dibango…) et des artistes locaux. Installé à Montréal depuis 1998, le guitariste ivoirien Gotta Lago à l’affiche de cette 30e édition s’épanouit dans cette ville qu’il considère comme « une marmite qui bouillonne de culture. Au-delà des cultures africaines, on trouve aussi des cultures venues d’Asie, d’Europe et c’est cela qui fait la richesse de la musique que nous faisons ». Même son de cloche du côté de la chanteuse de Toronto d’origine nigériane Sonia Aimy qui apprécie cette métropole cosmopolite. « J’ai beaucoup voyagé et je peux vous dire que je n’ai jamais vu autant de couples mixtes ! »

Si la programmation reste un peu à la traîne des tendances actuelles (hip-hop, électro, pop, R’n’B), elle excelle du côté des grands classiques. La légendaire formation cubaine Orquesta Aragon a déroulé avec élégance salsas et cha-cha-cha imparables tandis que la machine à danser du Sierra Leone’s Refugee All Stars a irradié de bonheur le festival avec son mélange de reggae et de rythmes ouest-africain.

Parmi les moments les plus émouvants de cette édition anniversaire, on retiendra le concert de la diva sud-africaine Lorraine Klaasen, fille de la chanteuse Thandi Klaasen, qui avait participé à la première édition au Club Balattou. Elle boucle la boucle trois décennies plus tard. « Nuits d’Afrique c’est comme un bébé. Quand il est né, il ne courait pas, il rampait. Nous aussi, nous avons commencé petit. Puis le festival a grandi et aujourd’hui, à 30 ans, il est devenu un homme. »

RFI

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